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"Enregistrer le réel tel qu’il est m’intéresse rarement. J’aime le faire dérailler, ouvrir vers d’autres mondes. Introduire le doute. Evoquer."
Alain Willaume
Alain Willaume
Extrait de l'interview avec Patricia Hayes, skype
Paris / Cape Town, 6 January 2013
Interview extraite du livre
Transition, paysages d'une société
à paraitre aux éditions Xavier Barral.
Transition, paysages d'une société
Alain Willaume / Tendance Floue
ÉCHOS DE LA POUSSIÈRE ET DE LA FRACTURATION, 2012
Dans le cadre du Transition, Social Landscape Project, Alain Willaume a été invité à réfléchir sur les menaces liées aux projets d’exploitation du gaz de schiste par la société Shell dans la région désertique du Karoo en Afrique du Sud.
En écho à ce futur incertain, il invente une métaphore évanescente et interroge un territoire hanté par les soupçons et les angoisses émanant des habitants rencontrés au hasard des pistes. Ses images - dont les riches demi-teintes ne comportent sciemment ni noirs ni blancs - résonnent des échos d’une menace environnementale d’une actualité brûlante et, ce faisant, chantent la grâce infinie d’un paysage désormais en sursit.
Produite dans le cadre des saisons croisées France-Afrique du Sud par les Rencontres d'Arles et le Market Photo Workshop, Transition, paysages d'une société est une mission photographique d'une ampleur exceptionnelle, menée par six photographes français (Patrick Tourneboeuf, Alain Willaume du collectif Tendance Floue, Raphaël Dallaporta, Harry Gruyaert, Philippe Chancel, Thibaut Cuisset) et six sud-africains (Santu Mofokeng, Pieter Hugo, Zanele Muholi, Cedric Nunn, Jo Ractliffe, Thabiso Sekgala) sur le territoire de l’Afrique du Sud.
Un livre est édité à cette occasion par les éditions Xavier Barral.
Une première version de cette exposition a été présentée cet hiver à Johannesburg.
L'exposition Transition, Social Landscape Project est présenté dans le cadre des Rencontres d'Arles 2013 du 1er juillet au 22 septembre 2013 à Arles.
© Alain Willaume / Tendance Floue
AW. A l’annonce initiale de ce voyage, menaces environnementales,
rêveries astronomiques et désert m’avaient semblé des éléments de scénario prometteur. Mais à la fin de la première journée, quelque quatre cents kilomètres plus tard, le bilan n’était pas brillant ; je n’avais fait que rouler et je n’avais rien vu d’autre qu’un ciel sublime, des clôtures, des pylônes électriques, des troupeaux de moutons et quelques éoliennes, sans rapport aucun avec le sujet qui m’était assigné !
Le soleil d’hiver penchait vers l’horizon. Il était 16h28. Un vent glacé soufflait entre les montagnes tabulaires. Au loin, un 4x4 filait sur une piste perpendiculaire à la mienne ; dans son sillage, un panache de poussière se découpait dans le contre-jour. A l’affut du moindre "évènement visuel", je déclenchai mon appareil.
Puis je ne vis plus rien d’autre jusqu’à l’étape du soir.
Arrivé à la Jupiter Guest House de Sutherland, je déchargeai ma carte-mémoire. Sur la toute dernière séquence d’images, derrière un minuscule
véhicule, un long panache de poussière nimbé de lumière s’étirait de gauche à droite dans la composition de l’image. J’ai alors eu un flash (rires) : sur l’écran, je voyais la métaphore quasi parfaite de cette menace dont je voulais rendre compte et qui n’existait pas matériellement.
Je décidai alors que ce nuage allait devenir mon fil rouge ; il deviendrait la parfaite préfiguration de ce paysage en sursis. J’avais retrouvé mes marques.
La mise en coïncidence du réel avec mon imaginaire avait trouvé. sa forme. Et tout se mettait à faire sens : le vent, l’immensité, le vide, la grâce du paysage. Je n’avais plus qu’à suivre ce nuage, ce gaz échappé là, exactement sous la lumière.
PH. Ce serait comme votre combustible.
AW. Oui, un combustible composé de poussière, d’espace et de quelques petites choses en plus.
PH. C’est la trace d’un… mouvement qui serait à peine perceptible dans l’image elle-même.
AW. Oui, soudain c’est l’air qui porte toute l’histoire.
PH. C’est merveilleux.
AW. C’est à la limite de l’invisible et c’est une substance que j’aime interroger.
PH. C’est comme une forme de légèreté qui brouillerait parfois la représentation. Une présence étrange.
AW. Contrairement à la photographie dite documentaire, l’évocation d’un invisible prend ici le pas sur le réel. Mais j’essaie toujours de les faire se rejoindre au détour de la métaphore.
Ce ne fut pas ici la moindre beauté de ce sujet que de voir soudain apparaître, caché parmi toutes les impossibilités matérielles qui la masquaient, l’ombre portée de la catastrophe.
Ces nuages de poussière évanescents devenaient soudain l’incarnation de ce qui hantait ce paysage immaculé. L’irréel aspirait le réel comme un trou noir errant.
D’ailleurs, j’ai appris plus tard que la poussière serait une des premières sources de pollution lors de l’exploitation du gaz de schiste dans le Karoo.
En effet, le besoin en eau (démesuré pour la région) de cette technique nécessitera, entre autres, la construction de nouvelles pistes afin d’acheminer la noria de camions citernes qui approvisionnera la construction et l’exploitation des puits de forage. L’une et l’autre engendreraient de véritables tempêtes de poussière qui pèseront sur l’écosystème fragile de toute une partie de cette région."
"I like to unsettle it, open it to other worlds, introduce doubt, evoke."
Alain Willaume
Alain Willaume
Excerpt -i nterview with Patricia Hayes, skype
Paris/Cape Town, 6 January 2013
AW. When this journey into the desert was first announced, ecological problems and dreams of astronomy seemed to me to be promising ingredients for a scenario. But at the end of the first day, around four hundred kilometers later, the results were not brilliant. All I had done was drive and all I’d seen was a magnificent sky, fences, electric pylons, herds of sheep and a few windmills, nothing to do with the subject I’d been assigned! The winter sun was dropping towards the horizon. It was 4.28 pm. An icy wind was blowing between the flat-topped mountains. In the distance, a bakkie was following a track perpendicular to mine. In its wake, a plume of dust stood out against the sunlight. On the lookout for the slightest “visual event”, I started shooting.
Then I saw nothing else until the overnight stop.
When I arrived at the Jupiter Guest House in Sutherland, I downloaded my memory card. On the very last set of pictures, behind a minute vehicle, a long plume of dust with a halo of light stretched from left to right of the composition of the picture. Suddenly I had a "flash" [laughter]: on the screen I was looking at a near-perfect metaphor for the threat that I wanted to communicate and that had no physical existence. I decided that this cloud was going to become the thread I would follow. It would be the perfect foreshadowing of this landscape living on borrowed time. I was back in my own world.
The way for my imagination to align with reality had taken shape. Everything was beginning to make sense: the wind, the dust, the huge space, the emptiness, the grace of the landscape. All I had to do was follow this cloud, the gas that escaped there, precisely below the light.
PH. It’s your medium.
AW. Yes, communicating through the horizon and some extra little things.
Patricia. In fact it’s a trace of some kind of movement that is not obvious in the photograph itself.
AW. Yes, suddenly it’s the air which carries the story.
Patricia. That’s wonderful.
AW. It borders on invisibility, and that is a substance I love to examine.
Patricia. It’s not giving any consequence or importance, and sometimes it’s also obscuring things. It’s a strange presence.
AW. Unlike so-called documentary photography, here the evocation of something invisible takes precedence over what is real. But I always try to bring them together through metaphor. Not the least beautiful part of this subject was, hidden amongst all the physical problems that were masking it, the sudden glimpse of the shadow of catastrophe. These evanescent clouds of dust suddenly became the incarnation of what it is that haunts this immaculate landscape. Like a wandering black hole, the unreal was sucking in the real.
Later on I learned that dust will be one of the first sources of pollution during shale gas exploitation in the Karoo. In fact, the amount of water (vast for this region) required for this technique will, amongst other things, need new tracks to be built to bring in the endless stream of tanker lorries to supply the construction and exploitation of boreholes. Both will cause real dust storms that will be a strain on the fragile ecosystem of a whole section of this region.
Transition, Social Landscape
Echoes of Dust and Fracturing
Alain Willaume / Tendance Floue
As part of the Transition, Social Landscape project, Alain Willaume was invited to consider the implications of an impending programme of fracking by the Shell Company in the semi-arid Karoo area of South Africa.
In response to an uncertain future he has conjured an evanescent metaphor for a haunted territory and for the suspicions and fears of the inhabitants he met randomly on the dirt roads. The pictures – whose rich mid-tones are, consciously, neither black or white – suggest the environmental threat of this burning issue, but in doing so they also preserve the infinite grace of this landscape, the fate of which is now held in abeyance.
Translation : David Chandler
Transition, Social Landscape is a rare collaborative photographic project carried out by French and South African photographers and focusing on the territory of South Africa. The project brings together works by six South African photographers (Santu Mofokeng, Pieter Hugo, Zanele Muholi, Cedric Nunn, Jo Ractliffe, Thabiso Sekgala) and six French photographers (Patrick Tourneboeuf, Alain Willaume, Raphaël Dallaporta, Harry Gruyaert [a Belgian living in France], Philippe Chancel, Thibaut Cuisset).
Event organised as part of the Seasons South Africa - France 2012 & 2013
Exhibition co-produced by the Rencontres d’Arles and the Market Photo Workshop.
Exhibition catalogue published by Éditions Xavier Barral.
Transition, Social Landscape will be exibited at Rencontres d'Arles 2013 From July 1st till September 22nd, 2013 in Arles