Site du mouvement pour l'autonomadie
Voyager, vivre et agir :
libres, indépendants, autonomes et nomades
Chronique #art 21 | septembre 2015
par Gianni Cariani
« reGeneration3 »,
Exposition au Musée de l'Elysée à Lausanne
Karel Koplimets, « Case N° 8. You'll always Find Me in the Kitchen at Parties », Installation/vidéo, 2014
Données quantitatives, espaces vides, bâtiments à l’abandon, reconversion sociale, transhumances existentielles, migrations, île artificielle, identité individuelle, china bags, sphère publique, manipulation sociale, propriété privée, (r)évolution, Darwin, vacances, criminalité domestique, désertification sociale, exode, distanciation, choix, proximité, esthétisation, documentation composent les mots-clés de l’exposition « reGeneration3 » au Musée de l’Élysée à Lausanne.
Laurence Rasti, « Il n’y a pas d’homosexuels en Iran », 2014
L’exposition, pour sa 3e édition, constitue un panorama de la nouvelle génération de photographes en action. Ils sont une cinquantaine à décliner un propos, une vision, un projet. Si l’exposition se divise en 3 cycles ou 3 temps (le sujet documentaire, la question de la mémoire, la richesse des expressions esthétiques inspirée par l’histoire du médium et l’histoire de l’art), cette catégorisation correspond plutôt à un prétexte générique qu’à une réalité argumentaire solide.
Ce qui est proposé est beaucoup plus dense et moins typologique. Le menu de l’exposition est très disparate et répond bien davantage à une appréhension de la société dans sa totalité. Comme si chaque projet était un fragment qu’il faut lier au suivant. Mis bout à bout les projets suggèrent un tour d’horizon panoramique qui dépasse le cadre préétabli. Ce sont des morceaux qui juxtaposés forment un état des lieux plus critique que poétique. La réflexion prend le pas sur la contemplation. Et le propos dans sa diversité est compact, frontal et suggestif. La photo devient un discours. Les œuvres retenues ne sont jamais des pièces uniques, mais des séries ou des compositions.
Il ne s’agit plus seulement de découvrir, mais d’inventorier et de dire l’état du monde et de le commenter. C’est un second degré photographique ou chaque photographe crée sa niche opératoire. Une niche qui ne demande qu’à ouvrir des portes.
Giacomo Bianchetti, « Can I ? », 2012
Giacomo Bianchetti revient sur le rapport espace public/sphère privée en photographiant les « entrées » des groupes constitutifs du Swiss Market Index. De grands groupes internationaux dont l’objectif est le profit associé à une grande discrétion.
De manière frontale, il établit la ligne de partage entre l’espace public, l’endroit d’où il prend la photo, et l’espace privé de l’entreprise, l’entrée du siège de l’entreprise. En contrepoint de ces photos, il propose aussi « le dialogue » ou l’absence de dialogue qui se déroule avec un membre des relations publiques de l’entreprise, le responsable de la communication, un cerbère ou toute autre variante devant gérer le profil médiatique de ladite compagnie. Bien entendu, le dialogue, s’il existe est forcément un dialogue de sourds évocateur de ce qui peut être vu ou non.
C’est un dialogue standardisé où plane l’interdit de s’approprier et de photographier l’entrée du bâtiment. C’est un dialogue sans surprise et répétitif jusqu’à l’instant fatidique où le cerbère menace d’appeler la police. Restent alors des photos qui en disent long sur l’accumulation de pouvoir. Plus celle-ci est élevée, plus elle doit se parer de secret, de distance et d’autorité. Les entrées ou les portes sont des sas protecteurs. En deçà la vie quotidienne.
Au-delà la vie feutrée. « L’espace privé » se doit d’être discret, faussement anonyme. La porte est une icône parfaite et une frontière symbolique qui ne peut pas être franchie. Business is business.
Rachel Boillot, « Post script », 2013
Le monde change et Rachel Boillot en prend note dans sa série intitulée « Post script » à la manière d’une archéologue... des échanges sociaux. 3653 bureaux de poste ont été supprimés en 2011 sur le territoire américain. La photographe en fait un relevé partiel. Son objectif, prendre note des changements socio-économiques et faire le portrait d’une mutation.
Outre la dimension centrale et significative d’une poste, comme étalon représentatif d’une autre époque, c’est la nature des échanges sociaux qui se trouvent modifiés dans les communautés rurales. Plus ou moins abandonnées et délabrées, les postes défraîchies sont comme des dinosaures ramollis en voie d’extinction. En transit vers un nouvel « Eldorado. »
Nobukho Nqaba, « Umaskhenkethe likhaya Iam », 2012
Le monde se transforme. Les idées, les personnes, les biens circulent pour des raisons et des objectifs divers et variés.
La photographe Nobukho Nqaba en restitue la substance à sa manière.
De ses souvenirs d’enfance, elle garde la vision des fameux China Bags. Ces sacs en plastique qu’utilisaient sa mère lors des déplacements qu’elle effectuait. Ces sacs sont également appelés les sacs du pauvre. Ils se retrouvaient partout. Plus tard, devenue photographe, elle tapisse de ces sacs une chambre et montre comme un écho perturbateur leur dimension invasive.
Entre mémoire et fuite en avant, oppression et rupture, esthétisation et distanciation, volonté objective et réminiscence biographique, la composition donne certains repères sur les réalités du monde. De l’usage pratique à l’espace intime, du local au global, la frontière est ténue.
La nouvelle génération de photographes montrée dans le cadre de l’exposition reGeneration3 formalise de manière très pertinente les processus qui sont à l’œuvre.
Gianni Cariani est docteur en histoire, guide-conférencier et enseignant à l'Université de Strasbourg.