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Chronique #art 24 | décembre 2015

par Gianni Cariani

Les nouveaux mondes !

 

Bande-annonce de « Exit », Installation présentée par la Fondation Cartier pour l'Art contemporain, Palais de Tokyo, Paris, 25 novembre 2015-10 janvier 2016

En six temps et un mouvement continu « Exit » dresse un portrait dynamique de la planète. Une vision panoramique, dans un espace clos à 360° qui accroche l'esprit et génère un inconfort salvateur. La manière de présenter des données quantitatives et statistiques force la réflexion et les questionnements tout en captivant le regard.

 

« Exit » est un commencement. La thématique propose dans un mouvement perpétuel un état des lieux « programmatique » où se retrouvent en « amicale compagnie » des catastrophes climatiques, humaines et naturelles. Des désastres vertigineux englobent froidement la perception au sein d'une sorte de matrice répétant inlassablement un discours qui montre les processus à l'œuvre : les migrations contraintes et le déplacement des réfugiés politiques, la déforestation et ses effets,  la disparition accélérée de langues minoritaires,  la standardisation et la concentration urbaines, les flux humains et financiers.

 

Tous les enjeux à venir sont mis en présence et bousculent les platitudes habituelles et les certitudes obsolètes. L'équilibre au sommet d'un pic montagneux est des plus instables. Les données chiffrées et leurs représentations dynamiques sont comme les deux plateaux de la balance et doivent toujours en définitive trouver leur équilibre. Un équilibre souvent hasardeux et fragile qui associe des lignes divergentes et convergentes. La balance est une métaphore qui oscille entre des forces tourbillonnantes et des vents contraires. Des vents qui interrogent le passé, le présent et le futur.

Capture d'écran, Nguyen Trinh Thi, « Lettres de Panduranga », Galerie nationale du Jeu de Paume, Paris, 20 octobre 2015-24 janvier 2016

Comme une réponse au projet global d'« Exit », Nguyen Trinh Thi dans ses « Lettres de Panduranga » décrypte les évolutions qui affectent un territoire et les communautés qui y résident.  Il y est question de transformation, d'hégémonisme et d'expulsion.

 

Transformation liée au temps, hégémonisme culturel des vainqueurs, expulsion symbolique des vaincus. À partir d'un exemple précis, la trame du film décline l'histoire culturelle et artistique des Cham du Viêtnam. Si le lieu est précis, c'est de fait un lieu exemplaire qui vise à l'universalité des situations.

Nobuko Tsuchiya, Hola, 2015,  « Co-workers : Beyond Disaster », Bétonsalon, Centre d'art et de recherche, Copyright Aurélien Morel, 2015

Si les faits parlent souvent d'eux-mêmes, leur organisation discursive complète l'échiquier et ouvre de nouvelles pistes. Haytham el-Wardany propose de se projeter au-delà du désastre en en délimitant les contours théoriques et métaphoriques : « Il est impossible de dresser une image exhaustive du désastre et de l'envisager dans sa globalité. Le désastre est trop complexe pour être appréhendé d'un seul regard. Il convient davantage de l'aborder de façon partielle, de l'évaluer par fragments... Le désastre exige un nouveau commencement, une nouvelle terre ; et la nouvelle terre qu'il révèle apparaît comme une île...  La caractéristique principale de cette île déserte – page blanche pour la création d'un esprit commun - est d'être un nouveau commencement ou une seconde naissance... »

Haytham el-Wardany, « Notes sur le désastre », ArteEast Quaterly (Hiver 2015), traduction française A. Tincelin, pour l'exposition « Co-workers : Beyond Disaster », Bétonsalon, Centre d'art et de recherche, Journal 10/2015-01/2016, Paris.

 

Autour de ce questionnement, le lieu propose de se projeter et d'anticiper à travers les œuvres d'une dizaine d'artistes. Champ social, identité individuelle et collective, sensations et technologie, distanciation et intégration montrent la diversité des possibles au-delà des errements qui amènent au possible désastre.

Capture d'écran, Hito Steyerl, Liquidity Inc, 2014, Installation vidéo HD, 30', « co-workers : le réseau comme artiste Palais de Tokyo, Paris, 9 octobre 2015-31 janvier 2016

Et l'individu dans tout cela est tout aussi fragmenté. La dissection biographique à laquelle se livre Hito Steyerl est démonstrative et jubilatoire. Par un autre biais, l'auteur montre comment s'entremêlent différents niveaux de perception. De l'événement macro à la décision micro, du factuel à l'intuitif, du sociétal à l'individuel, les tranches narratives successives proposent un panorama biographique décapant. Écho que l'on retrouve en parcourant les villes, ces organismes étonnants.

 

 

Paris, 2015

Gianni Cariani est docteur en histoire, guide-conférencier et enseignant à l'Université de Strasbourg.

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