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Bulli Tour Europa
Mai à octobre 2014
10 000 km et des reportages
sur les routes d'Europe de l'Est
Claire Audhuy et Baptiste Cogitore
Compagnie Rodéo d'âme
De Strasbourg à Odessa en passant par dix-huit pays, notamment, par l’Allemagne, la Bosnie-Herzégovine, la Biélorussie, la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine, le Bulli Tour Europa, initié par Rodéo d’âme, auquel La croisée des routes a choisi de s’associer, part à la découverte de territoires méconnus pour faire entendre des voix d’Européen(ne)s dans toutes leurs diversités.
Avec Claire Audhuy, Baptiste Cogitore et leur équipe, nous avons envie de prendre le pouls de l’Europe d’aujourd’hui, de partager avec les lecteurs de notre site internet, plateforme culturelle autour du voyage — mais aussi par le biais de rencontres-débats mensuels au café Les Savons d’Hélène à Strasbourg — ces expériences qui seront recueillies sur le terrain tout au long des 10000 kilomètres parcourus entre mai et octobre 2014.
A l’heure où se redessine l’Europe, notamment sous les coups de boutoirs des nationalismes ravivés, il est vital de proposer un nouvel imaginaire européen, créatif et collectif.
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A la rencontre des Européens de l'Est
Entretien avec Claire Audhuy, à quelques semaines du départ
Claire Audhuy et Baptiste Cogitore (photo : Quentin Cogitore)
Claire Audhuy, docteure en recherche théâtre, auteure et metteur en scène, évoque le projet de ce Bulli tour Europa imaginé par la compagnie Rodéo d’âme dont elle est la fondatrice.
Une odyssée terrestre de dix mille kilomètres sur les routes d’Europe orientale en combi, en compagnie de Baptiste Cogitore (Président de Rodéo d’âme et journaliste reporter image) à la rencontre des Européens, de leurs rêves, de leurs envies mais aussi de leurs préoccupations.
Aujourd’hui comme hier, c’est l’histoire d’un Vieux continent qui se cherche un coeur qui n’existe pas. Une Europe qui n’en finit pas de se construire en se désagrégeant. Une histoire de notre temps.
La croisée des routes : Comment situez-vous votre projet Bulli Tour Europa dans la démarche de Rodéo d’âme ? Comment envisagez-vous cette traversée en Europe orientale à partir de mai ?
Claire Audhuy : Nous nous intéressons à la mémoire européenne, à l’histoire du judaïsme européen depuis de longues années. Avec ce Bulli Tour Europa, nous avons voulu passer à la vitesse supérieure, et prendre six mois pour aller à la rencontre de témoins, de passeurs, d’artistes et plus largement de personnes qui peuvent nous aider à interroger cette question de l’identité européenne. Identité que nous n’arrivons toujours pas à bien définir.
Qu’est ce que cela veut dire d’être européen aujourd’hui ? Est-ce qu’il s’agit d’un héritage commun, des valeurs que nous partageons ou juste une histoire d’économie ou de géographie ? Jusqu’à présent, nous nous étions intéressés à l’histoire et à la mémoire de l’Europe et nous voudrions, aujourd’hui, ancrer cela plus fortement dans la réalité et dans l’actualité de ce qui peut se passer. Nous avons, par exemple, des étapes prévues en Ukraine et en Bosnie.
LCdR : En 2011 / 2012, avec Rodéo d’âme vous aviez déjà travaillé sur un projet, devenu un livre : « Penser et parler l’Europe ».
C. A. : Le Bulli tour s’inscrit vraiment dans cette continuité. A Strasbourg, nous n’arrêtons pas de répéter que nous sommes la capitale de l’Europe, parfois on s’enorgueillit de cela. Je ne sais pas trop ce que cela veut dire que d’être Européen même si je me sens profondément Européenne.
En réalité, il y a un vrai questionnement: Qu’est-ce que je partage avec un étudiant moldave, qu’est-ce que j’ai en commun avec un skater de Berlin ? Du coup, l’envie d’aller à la rencontre des gens. Ce que nous avions fait avec “Penser et parler l’Europe”, c’était à une moindre échelle puisque nous avions rencontré les “Européens” en restant à Strasbourg. Là, nous souhaitons partir, aller à la rencontre directement des personnes et partagerons les reportages de là où nous serons. Nous ferons monter des Européen(ne)s dans notre Combi Volkswagen pour nous asseoir ensemble et dialoguer.
LCdR : Qui est ce Combi Volkswagen, ce fameux “Bulli” ?
C. A. : Nous cherchions un compagnon de route sympathique, et nous nous sommes dits qu’un combo VW ferait l’affaire dans la mesure où nous allons y accueillir des gens. Nous cherchions un outil de travail et un moyen de transport.
Au début, nous imaginions faire ce voyage à bicyclette ou à pied. Après quelques jours de réflexion, nous nous sommes dits que porter tout le matériel, avoir des problèmes de chargement et de logement risquaient de nous handicaper. Pour des questions d’efficacité, nous nous sommes imaginés tout faire au même endroit : travailler rouler et dormir. Nous avons donc opté pour un combi des années 70 que nous avons retapé et transformé en studio de radio itinérant.
LCdR : Quel va être votre trajet ?
C. A. : Nous allons traverser dix-huit pays : Slovénie, Bosnie, Croatie, Serbie, Macédoine, Bulgarie, Roumanie, Moldavie, Transnistrie, Ukraine, Hongrie, Slovaquie, Pologne, Biélorussie, Lituanie, Lettonie, Estonie et Allemagne. Soit à peu près 10 000 kilomètres pour rencontrer des Européens, collecter des informations et réaliser des reportages. Nous démarrons en mai pour terminer en octobre.
Dans certains pays, il y aura des petites haltes de quelques jours, mais aussi des pauses un peu plus longues. Je pense notamment à la Pologne où nous resterons trois semaines. Ce serait long d’entrer dans le détail. Je vais renvoyer les lecteurs vers la carte disponible sur notre site. Nous allons essayé de traverser tout ce que l’on appelle l’Europe de l’Est.
LCdR : Qu’elle serait votre définition de l’Europe de l’Est ? (sourire)
C. A. : La question… (sourire). A l’est de nous, de Strasbourg tout simplement. Cela commence par l’Allemagne. Nous allons passer par Berlin, c’est déjà l’Europe de l’est même si cela peut paraître très à l’ouest pour certains. Nous voulons interroger les habitants de tous ces pays où il n’est pas forcément si simple de choisir entre deux modèles. Je pense aussi à l’Ukraine, par exemple. Tous ces pays qui ont connu l’ère soviétique et des années de communisme, comment se redéfinissent-ils après tout cela ? Comment tous ces pays ont-ils rejoints ou vont-ils rejoindre l’Europe ? Qu’est-ce que cela signifie de rejoindre l’espace Schengen, d’acquérir l’euro ? Encore une fois, notre objectif est d'aller nous enquérir de l’état de tous ces habitants, de leurs mentalités, de leurs rêves. De leurs peurs et angoisses aussi. En résumé, prendre la tension, le pouls.
LCdR : S’agit-il là d'évoquer un imaginaire européen ? Cet imaginaire et cette Europe existaient à une époque. Aujourd’hui, étrangement, il semble plus diffus et surtout concret sur un plan économique, marchand. On a l’impression que cet esprit et imaginaire commun est devenu difficile à appréhender. Reprendre la route et aller à la rencontre directe avec des Européens, est-ce aussi pour tenter de réactiver cet imaginaire commun ?
C. A. : Oui, étant Alsaciens, nous sommes sensibles à ces questions d’histoire, de territoires. De mémoire également. Depuis l’Alsace, sa position spécifique entre la France et l’Allemagne, on imagine qu’il est primordial de construire des ponts avec le reste de l’Europe.
Avec la récente votation suisse, beaucoup ont pris un petit peu peur. Cette montée des nationalismes, nous allons évidemment l’interroger. Nous l’avons retenue parmi les thématiques que nous avons choisi d’aborder, à savoir : identités et minorités, mémoires et nationalismes, et le dernier, théâtre et résistance. Ces thèmes peuvent dialoguer entre eux, et pas seulement fonctionner par paire. Est-ce que le nationalisme peut fonctionner avec l’Europe ? Est-ce que cette dernière est une supra-nation ? Et, finalement, en étant Européens, ne sommes-nous pas supra-nationalistes ? Se demander si cela peut fonctionner. Et, finalement, tenter de nous définir : est-ce que je suis Strasbourgeoise ? Alsacienne ? Française ? Européenne ? Comment se définissent ceux que nous allons rencontrer ? En fait, qui suis-je moi ?
LCdR : Cette façon d’analyser la situation politique à travers la culture est un des axes de travail exploré par Rodéo d’âme. Interroger la poésie, le théâtre, la littérature et les arts et les confronter à la politique. Et inversement. Politique au sens de la vie de la cité. La vie au sein d’une communauté.
C. A. : Oui, c’est pour cette raison que nous avons choisi le thème "théâtre et résistance" qui aurait d’ailleurs pu s’appeler "arts et résistance". Ces sujets nous passionnent. Les artistes sont des observateurs de la vie dans la cité. La transforment-ils ? La question est ouverte.
LCdR : Vous travaillez depuis plusieurs mois sur la préparation de ce Bulli Tour Europa. Parmi les contacts que vous avez avec les différentes personnes que vous (re)cherchez, est-ce que le sujet du nationalisme est abordé spontanément ou vous parle-t-on davantage d'autres sujets, plus optimistes et porteurs d'avenir ?
C. A. : La question du nationalisme revient, notamment lorsque l’on parle de la Bosnie. Il y a des pays où évidemment la question est encore très vive comme en Ukraine où l’on se demande encore s’il va y avoir bientôt une ou deux nations. Cette question du nationalisme est bien présente. Maintenant, je ne sais pas si elle est opposée à un européanisme ? Cela dépend à quel niveau se situe cette notion de nationalisme. S’il s’agit d’un nationalisme exacerbé, évidemment cela va poser problème.
De notre côté, nous interrogerons aussi bien la mémoire que le présent. Mais, parfois il y a un présent qui nous rappelle douloureusement l’histoire de l’Europe. Nous allons, notamment, interroger des groupuscules identitaires d’extrême-droite qui se revendiquent d’idées nationales-socialistes. Là, il s’agit vraiment de la croisée des routes : comment arrive-t-on à croiser notre intérêt pour l’histoire et la mémoire européenne alors, qu’en 2014, certains se revendique d’une idéologie qui a soixante-dix ans.
LCdR : Cette façon très documentaire de procéder est une constante de Rodéo d’âme. En l’occurrence, la connaissance livresque, culturelle est une donnée importante, une base. Ensuite il faut aller se frotter au réel. Et, le réel, c’est avant tout des femmes et des hommes qui ont des choses à partager.
C.A. : Il est clair que nous avons été, Baptiste Cogitore et moi, formés de manière universitaire. Nous allons d’abord dans les bibliothèques. Nous avons besoin de beaucoup nous nourrir de livres, de films, mais aussi de rencontres car nous ne sommes pas des rats de bibliothèque. Cela ne m’intéresse pas d’accumuler un savoir si je ne peux pas le faire vivre, le faire résonner, et puis l’augmenter et l’enrichir de paroles, de témoins. Des témoins, au sens large du mot. Il peut s’agir d’un jeune ukrainien qui participé à la révolution orange ou alors un jeune graffeur berlinois. Qu’est-ce que ce dernier, par exemple, a à nous raconter de son Europe ?
Il est primordial de passer par le vivant. Même si nous ne parlons pas les mêmes langues, nous avons quelque chose à partager au-delà d’un livre, d’une oeuvre ou de références.
LCdR : Documentaire… réel… Qu’elle est la place de l’imaginaire et de la fiction dans votre projet ?
C.A. : Il est important de garder une place pour la poésie, j’en suis convaincue. Dans notre travail, la part documentaire est très large car j’accorde beaucoup de place aux rêves des gens. Dans presque toutes mes pièces de théâtre, il y a des rêves qui sont relatés. Cela fait aussi partie d’un travail documentaire. Même si il s’agit de l’inconscient des gens et de leur imaginaire. Cela émane d’un esprit. Quelqu’un l’a pensé donc pour moi c’est un témoin. Je cite un témoignage, et peu importe si ce n’est qu’un rêve ou si cela fut une réalité. A un certain moment quelqu’un l’a pensé. Il est aussi nécessaire de faire part des imaginaires et des inconscients des Européens.
(photo DR)
(photo DR)
LCdR : En route. Grimpons dans le combi. Comment cela va se passer ? A côtés des carnets et et des stylos, vous le concevez aussi comme un studio et radio et de montage d’image nomade ? Autant de moyens pour réaliser vos reportages et les diffuser régulièrement sur le web à chacune de vos étapes de vos étapes. Comment avez-vous imaginé le dispositif de partage des informations collectées ?
C.A. : Nous avons choisi plusieurs médiums : vidéo, radio, presse écrite et photo. Cela nous permettra de toucher différentes personnes. Les gens plus sensibles aux reportages avec des images ou celles préférant prendre le temps et se documenter en lisant.
Nous allons appréhender des réalités très différentes. Ainsi nous allons par exemple nous intéresser au camp de Lety (en République tchèque aujourd’hui), qui était un ancien camp de concentration pour les Rroms durant la Seconde Guerre mondiale. Il a été transformé en porcherie industrielle dans les années 1990. Peut-être que les photos parleront d’elles-mêmes. Ailleurs, nous aurons rendez-vous avec un jeune artiste qui vit dans un village abandonné dont il est le dernier habitant. Il a acheté l’abbaye pour y faire son atelier. Ici, je pense qu’il sera saisissant de le suivre en vidéo. Entrer caméra à l’épaule dans le village, découvrir ce lieu presque hanté et y rencontrer Tara. Un endroit insolite où il créé des oeuvres engagées contre le racisme et la xénophobie.
Il y aura différents angles pour aborder les différentes réalités du terrain. Par exemple, en Biélorussie et en Transnistrie où nous ne pourrons par forcément sortir l’appareil photo ou la caméra. En revanche, nous aurons nos yeux et nos oreilles pour tout enregistrer.
Après, en rentrant, nous rédigerons tout ce que nous aurons vu et échangé. A chaque médium, sa situation. Et puis, si parfois, il y a des problèmes d’électricité ou de connexion, il nous restera nos deux mains pour écrire, dessiner.
Nous avons décidé, chaque semaine, de réaliser une émission de radio en direct (chaque mercredi, à 11h) et nous réaliserons des reportages vidéo de manière plus spontanée. Si l’occasion se présente, on passera à la caméra mais pas forcément toutes les semaines.
Quotidiennement, nous alimenterons notre site par des articles écrits et des galeries photos pour documenter notre quotidien, raconter au jour le jour l’ensemble de l’aventure du Bulli. Aussi bien, les rencontres et les témoignages que les visites, bien sûr, mais aussi les à-côtés, les pannes, les tracas, les ennuis… Tout ce qui va arriver avec un vieux combi des années 70. Malheureusement, nous savons que cela arrivera (rires)...
LCdR : A propos du Bulli, avez-vous commencé à l’apprivoiser et lui faisant reprendre l’air ?
C.A. : Nous avons fait la première sortie en février. Nous avons tenté l’autoroute. Au bout d’une dizaine de minutes, le Bulli arrive à sa vitesse de croisière maximale de 90 km/h (sourire). Autre contrainte : nous ne pourrons rouler que deux heures consécutives. Il faudra laisser reposer la bête une heure avant de reprendre la route. Donc en trois heures, nous allons faire pas tout à fait 180 kilomètres. Nous aurons le temps de bien voir le paysage...
Nous l’avons aussi testé en montée dans les petites montagnes d’Alsace. Là c’est 50-60 km/h en faisant rugir le moteur. En fonction des reliefs, nous n’avancerons pas très vite. C’est aussi pour cela que nous prenons six mois pour faire ces 10 000 kilomètres Nous prendrons le temps de nous arrêter, de parler aux gens, d’appréhender quelque peu la réalité locale. Si, initialement, nous voulions faire ce voyage à pied ou à vélo, c’était pour avoir le temps de voir les choses et de ne pas zapper d’un lieu à l’autre sans se rendre compte du relief.
Je suis ravie de m’arrêter tous les 150 kilomètres pendant une heure et d’avoir le temps de visiter la prairie, la ville ou le village. Et peu importe, s’il n’y a rien d’extraordinaire à y voir. Il y aura toujours des gens avec qui dialoguer.
Par ailleurs, nous prévoyons aussi de faire l’inventaire de toutes les stations-service où nous nous arrêterons. Initialement, nous voulions faire le portrait de chaque pompiste. Mais il s’agit là peut-être d’une vision nostalgique de notre part. S’il s’avère qu’il n’y a plus beaucoup de pompistes, il y aura certainement des caissiers ou des caissières.
(photo DR)
LCdR : Laissez-vous beaucoup de place au hasard pour ces rencontres tout au long de votre voyage ?
C. A. : Nous avons prévu un certain nombre choses notamment pour nous assurer d’avoir au moins un reportage dans chaque endroit où nous nous arrêterons afin de pouvoir honorer nos engagements mais également pour traiter nos thématiques. Ne pas être obligé de nous retrouver à parler de quelque chose par défaut parce que nous n’avons rien à raconter. Nous avons de fait "anglé" une bonne partie des sujets.
En revanche, nous savons pertinemment qu’il y aura des imprévus, que nous n’arriverons pas à être présent au bon moment. On sait que nos témoins ne pourrons pas toujours nous apporter ce que nous espérons. Il y aura des problèmes de langue ou de timing. Donc, oui, laisser la place à l’imprévu. Cela ne nous fait pas peur. Au contraire. La spontanéité des gens et les rencontres fortuites nous apporteront beaucoup.
LCdR: A propos de langues. Avez-vous déjà listé toutes celles que vous aller entendre dans cette Babel contemporaine que vous allez traverser ?
C. A.: Oui, et le nombre de langues parlées dans l’espace européen est affolant ! (sourire). Sans oublier les nombreux dialectes dont nous ne connaissions même pas l’existence. Nous ne pourrons pas apprendre toutes ces langues et variantes et nous ferons appel à de nombreux interprètes et traducteurs. En faisant appel à leur bonne volonté. Nous avons activé les réseaux sociaux mais aussi les réseaux des ambassades, des consulats et des instituts internationaux de théâtre. Nous passons également par les lycées français. Nous nous reposons beaucoup sur la communauté française à l’étranger, mais aussi les communautés anglophones et germanophones. Pour le reste le dialogue s’établira par des regards, des mots bafouillés ou des gestes.
LCdR : Vous serez à deux dans le combi, mais il y a toute une équipe engagée avec vous dans ce projet. Qui vous accompagne tout au long de cette aventure et au delà pour organiser les "traces" de ces rencontres à votre retour ?
C.A. : Il y a en effet d’ores et déjà toute une équipe avec nous. Des traducteurs, des illustrateurs, des volontaires et des bénévoles. Nous avons, par exemple, des jeunes ambassadeurs d’Alsace qui seront à nos côtés. Il y a aussi tous les médias et partenaires que nous avons démarché. Une partie des contenus sera sur notre site mais nous avons des partenariats pour différents supports (télé, journaux, sites et blogs).
Chacun aura droit à des inédits ou des sujets spécifiques, d’autres relayeront l’info. Et, comme nous aimons beaucoup les livres chez Rodéo d’âme, il y aura un grand carnet de voyages qui retracera l’ensemble du périple. Est-ce que ce sera un essai sur l’Europe ? Un carnet de voyage quotidien ou un ouvrage de témoignages ? Un Mook ? Nous n’avons pas encore décidé de la forme que cela va prendre. D’ailleurs, je crois qu’il est encore un peu tôt pour le dire. Ce qui est sûr c’est que lorsque nous pensons nos projets, il y a toujours un projet éditorial derrière. Nous pensons aussi à un film d’une cinquantaine de minutes, qui devrait être montré courant 2015. Toujours dans l’idée de prolonger la réflexion.
LCdR: Avant de conclure, je reviens sur le doctorat que vous venez de passer brillamment. Dans quelles dispositions d’esprit êtes-vous après avoir passé cinq ans d’un travail intense sur votre sujet : “les créations théâtrales dans les camps nazis : enjeux, réalités et postérité” ? Aviez-vous envie d’ouvrir les fenêtres et filer sur les routes pour respirer et lâcher un peu prise ?
C. A.: Contrairement à d’autres thèses, il me fallait véritablement aller sur le terrain, et pas seulement dans les bibliothèques. J’ai recueilli beaucoup de témoignages. Je suis allée chercher et fouiller dans les archives du monde entier. Je me suis rendue en Israël, aux Etats-Unis, au Canada et un peu partout en Europe. Je pense que cela a forgé mon goût de la rencontre et du voyage.
La thèse finie, c’est peut-être le début de quelque chose d’autre. Cette thèse m’a permis de beaucoup voyager et de rencontrer des témoins à travers le monde. Des gens qui avaient fait du théâtre dans les camps nazis, qui avaient lu des pièces de théâtre ou qui y avaient assisté. Des gens de tous les pays, de toutes les confessions et de tous les âges. Des hommes, des femmes et des enfants. Des juifs, des résistants, des tsiganes, des Français. Il est fascinant de retrouver encore une fois cette tour de Babel dans la création artistique à l’intérieur des camps. Triste sujet évidemment, si ce n’est au contraire, un espoir de dire qu’il y a eu du théâtre dans les camps de concentration. Du théâtre clandestin à l’insu des nazis, de manière très dangereuse évidemment.
C’est inédit de savoir que le théâtre et la culture en général ont pu sauver des vies, ont pu aider des gens à retrouver une dignité, une humanité, un espoir. Je suis très attachée à ce travail. On va, d’une certaine manière, le prolonger en nous intéressant à la mémoire européenne.
Baptiste Cogitore vient de terminer un travail sur les anciennes synagogues d’Alsace et leur réaffectation. Que deviennent ces lieux de culte lorsqu’il n’y a plus assez de croyants pour s’en occuper ? On va poursuivre cette réflexion en cherchant aussi à savoir ce que sont devenues les anciennes synagogues d’Europe de l’Est. Réaffectées en théâtre de marionnettes, en magasin de literies, en maison de particulier. Ou que sais-je. Continuer à interroger la notion de gardien des lieux que Baptiste a imaginée. Qui s’occupe, aujourd’hui, de ces anciennes synagogues ? Quelle est leur avenir au-delà d’être des édifices en ruines, oubliés et sans vocation.
Je compte poursuivre ma réflexion sur le théâtre en milieu extrême ; et pourquoi continuer à créer dans des situations aussi violentes que les guerres ou les exactions contemporaines. Nous nous intéresserons particulièrement à la ville de Sarajevo, avec son siège, avec Francis Bueb et la création du centre André Malraux en plein chaos. On a pris contact avec un certain nombre d’artistes et de comédiens qui ont continué à répéter pendant le siège de la ville et leur demander pourquoi ? Pourquoi faire du théâtre sous les bombes ? Pourquoi il est important de préserver une culture lorsque des vies sont menacées ? Cela rejoint directement mon travail de thèse. Cette dernière était un premier pas, pour nous amener vers ce deuxième pas qui est le Bulli tour Europa. Et qui sait ce qui arrivera après.
LCdR : Plus personnellement, qu’est-ce qui vous pousse à tout quitter durant quelques mois ? Qui plus est avec un combi, symbole pour beaucoup de liberté ?
C. A.: Le choix du combi n’est en effet pas anodin. En fait, je crois que cela correspond aussi à un moment de vie. Baptiste et moi avons eu des parcours universitaires particulièrement longs (dix ans après le bac). Nous avons consacré beaucoup de temps à l’étude. Nous voulions avoir notre moment : on largue les amarres et on part. On verra bien ce qui arrive, mais on part.
Nous ne voulions pas faire cela égoïstement pour nous, mais essayer de partager cela avec le plus de personnes possible. Continuer à tisser des liens, à chercher, comprendre, ressentir. L’idée du Bulli tour Europa vient aussi de là. Nous avons soif de toutes ces rencontres humaines que nous allons faire.
Propos recueillis par alain walther et Joël Isselé (La croisée des routes),
fin février 2014.
Téléchargez le fichier PDF du programme complet
des "Jeudis de l'Europe" en cliquant sur l'image.
LES JEUDIS DE L'EUROPE
Une série de cafés-débats à Strasbourg pour suivre le Bulli Tour Europa
D'avril à octobre 2014, un jeudi soir par mois, "Rodéo d'âme" et "La croisée des routes" vous invitent à participer à un café-débat pour suivre le voyage du "Bulli Tour Europa".
Chaque mois nous ferons le point sur les pays en fonction des villes étapes.
Jeudi 17 Avril 2014 à 19h : Soirée de lancement « Les Jeudis de l’Europe »
Présentation du Bulli Tour Europa, 10 000km de reportages en Europe de l’Est, en présence des deux initiateurs Claire Audhuy & Baptiste Cogitore.
Jeudi 15 mai 2014 à 19h : Le phénomène Combi VW
Projection du film « I am Kombi » de Claudia Marschal, en présence de la réalisatrice.
Le combi, drôle de véhicule, que nous associons spontanément aux années hippies se retrouve aux quatre coins du monde mais il n’est jamais le même. Qui est-il vraiment ? D’où vient-il ? A quoi sert-il ? « I am Kombi » prend la forme d’une autobiographie où le combi se raconte à la première personne et cherche à comprendre ce qu’il est lui-même devenu en croisant ses vies en Afrique, en Europe, en Asie ou en Amérique.
Jeudi 19 juin 2014 à 19h : Sarajevo - mémoires d’une résistance
En Bosnie, l’art est utilisé comme médium contre les traumas de la guerre, permettant de prendre du recul, de raconter l’histoire d’une communauté et de commenter le proche passé. Réflexions sur la culture résistante en situation extrême.
Jeudi 17 juillet 2014 à 19h : « La peur des barbares »
Voyage à la frontière turco-bulgare. L’agence Frontex a pour mission de coordonner les actions des états frontaliers de l’Europe en matière de lutte contre l’immigration clandestine. La militarisation de la frontière turco-bulgare, les réfugiés et le traitement des migrants sont au cœur des reportages de cette soirée.
Jeudi 21 août 2014 à 19h : L’Ukraine après Maïdan
État des lieux sur place de la révolution ukrainienne de 2014. Rencontres avec des insurgés pro et anti européens et visite non guidée d’un pays en pleine scission.
Jeudi 18 septembre 2014 à 19h : Le revival juif en Pologne
Le renouveau du judaïsme et sa mémoire contemporaine en Pologne permettent de sonder la place de la communauté dans un pays fortement marqué par les violences de la Seconde Guerre mondiale. Soixante-dix ans plus tard, quel héritage de ces événements, et quelle place pour de nouvelles initiatives ?
Jeudi 16 octobre 2014 à 19h : Jeudis de l’Europe
Soirée de rétrospective du Bulli Tour. Ce rendez-vous marquera la fin des Jeudis de l’Europe. Fraîchement revenus de leur road trip, les deux reporters du Bulli Tour vous raconteront leurs aventures journalistiques en Europe de l’Est et partageront avec vous leurs derniers reportages.
Les "Jeudis de l'Europe" auront lieu
au café "Les Savons d'Hélène" à Strasbourg
Entrée libre. Dans la limite des places disponibles.